Présentation

J’ai appris dans mon enfance à vivre avec la séparation et la mort : au décès de mon grand-père, mes parents ont déménagé de chez mes grands-parents maternels avec mon jeune frère. Dès mes sept ans, je suis restée avec ma grand-mère invalide pour la seconder. Nous avons demeuré toutes deux dans cette maison où s’était éteint mon grand-père au terme d’une très longue maladie. Il avait tout à coup disparu, laissant là un corps inanimé que je ne reconnaissais pas.

J’ai vécu la réalité de la mort comme une expérience singulière, bouleversante et fondatrice : ma famille, qui l’avait attendue comme un soulagement, pleurait avec effroi la perte qu’elle infligeait. En dépit de ma tristesse, je sentais la mort liée à l’énergie de la vie. Sa présence invisible me troublait et mon chagrin n’occultait pas ma curiosité.

Ma grand-mère peignait, écrivait, racontait des histoires, m’encourageant à exprimer mes émotions, même si elle en trouvait la manifestation « étrange et baroque ». Je me plantais devant le miroir des heures durant dans l’espoir que mon reflet me réponde : la vie et la mort se ressemblaient-elles puisque notre naissance les liait indissolublement ? Je la sentais sœur et inséparable. Sa présence jumelle exaltait ma soif de découvertes.

Lorsqu’en avril 2020, mon mari a été emporté brutalement d’une crise cardiaque, j'ai semé dans un pot quelques capucines.

Je les observe pousser, s'épanouir, flétrir, tomber sur un miroir. À chaque instant la mort à l’œuvre colore différemment leur vie. Leurs tiges s’élancent résolument vers le soleil qui allume d’un rouge orangé leur sensualité légère. Puis leurs pétales chiffonnés frôlent la transparence bleutée des nuits claires.

Elles se fanent en offrant leurs graines.

Sans un bruit dans le fracas du temps, la mort féconde la vie.

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