AU PLUS PRÈS

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Concert augmenté
Mise en sons, espace, images animées et lumières d'œuvres de György Kurtág et Jean-Sébastien Bach 
Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
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GALERIE PHOTO
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Représentations

26 avril 2023 - Auditorium Rogier - Namur

27 et 28 septembre 2022 - Senghor - Bruxelles : exposition des photographies de répétition (PHOSPHÈNES) et streaming de la captation vidéo du 5 juin 2022

26 juin 2022 - Espace Lumen - Festival Musiq3 - Bruxelles

5 juin 2022 - Captation au Senghor

 



Duo Sarrasine : Sara Picavet (piano) & Céline Bodson (violon) 

Thomas Turine (électroacoustique) 
Isabelle Françaix (vidéo) 
Hugues Girard (lumière) 

 

Un rituel musical organique

AU PLUS PRÈS brouille les repères scéniques du concert classique en démultipliant le regard et l’écoute. Les musiciennes s’échangent avec vivacité, en solos et duos, des pièces larges et intemporelles de Johann Sebastian Bach (1685-1750) ou courtes et aiguës de György Kurtág (°1926) dans un enchaînement instinctif et harmonique. Le geste musical détermine leur trajectoire, telle une danse entre le leitmotiv des Fleurs de Kurtág qui rythme le spectacle. « L’homme est une fleur […] estampe japonaise dont le signe passe dans le vide sans discontinuité », écrit le compositeur hongrois. La pianiste et la violoniste se découvrent l’une l’autre, tour à tour légères ou mélancoliques, de vertiges en effrois, vers la joie et la rencontre. Leur dialogue musical introspectif s’inscrit dans un univers de troubles sonores et de sensations visuelles au plus près de leurs gestes. L’électroacoustique, la vidéo et la lumière invitent l’intime par un acte poétique qui rassemble l’inaudible, l’invisible et l’obscur. Sonorisation et improvisations électroacoustiques agitent contrepoints et lignes essentielles. La vidéo noir et blanc imprime sur la rétine l’écho organique des sons : une image subliminale au plus près de la peau, du geste et de ses vibrations. La lumière révèle et dissimule. Ce voyage baroque et contemporain dessine un territoire traversé par la fugacité des émotions, au bord de l’espace et du temps. Notre fragilité y résonne avec force et délicatesse.
 




ENTREVOIR LES SONS
 

Hors de la représentation. Il s’agit de voir, grâce à des projections vidéo, ce que l’on ne voit pas d’ordinaire : la naissance du geste musical, la pulpe du doigt contre la touche du piano ou la corde du violon, le reflet dans l’œil de l’instrumentiste, le frémissement de la peau, la colophane qui s’envole de l’archet, l’obscurité d’une ouïe, la lumière sur l’ivoire… Tous ces détails qui passent inaperçus et forment le grain du son seront filmés au plus près du corps de l’instrumentiste et de son instrument.
Peut-on montrer la source du son ou capter son impression sur la rétine ?

Échos organiques. Un phosphène, nous dit l’encyclopédie Universalis « est un phénomène qui se traduit par la sensation de voir une lumière ou par l'apparition de taches dans le champ visuel, y compris les yeux fermés. »
Peut-on dès lors parler d’une impression rétinienne du son ?

L’image, selon moi, n’est pas seulement destinée à la vue mais sollicite d’autres sensations libérées de la représentation (et de la narration) directement liées au système émotionnel et nerveux. Elle possède une autonomie esthétique spécifique ancrée dans la présence du corps, une immédiateté naturelle et élémentaire qui arrive au spectateur à travers la vue, l’ouïe et toutes les modalités sensorielles.

L’intention de la vidéo dans ce projet est de se nicher dans l’intimité du spectateur. L’image n’est pas seulement destinée à la vision mais à la perception sensible du corps. Elle devient un champ des possibles, un espace d’échos organiques. Le vidéaste Bill Viola dit d’ailleurs de la caméra, dans une interview, qu’elle est un « microphone visuel ».
Les phosphènes ne seraient-ils pas les hauteurs et les fréquences de l’image ?
En saisissant une constellation d’instants au cœur des sons, dans ce qui les précède, les suit, les relie, les projections vidéos recréent sur scène, pendant le concert, un espace interne, organique, invisible et qui nous est commun.

Un espace multisensoriel. Je me sens proche de la démarche de Bill Viola qui explore les potentialités expressives de la vidéo pour immerger le spectateur dans une temporalité intime conduisant vers le sublime et le spirituel. Chacune de ses œuvres propose un voyage atemporel vers la connaissance de soi. En travaillant l’image dans des projections monumentales dont l’extrême naturalisme optique sollicite notre mémoire consciente et inconsciente, il crée un effet de présence tel, qu’il ouvre un espace sensoriel au-delà de la représentation.

« Au plus près » développe une approche similaire : projections fragmentées et organiques sur des voiles, sur les murs, le sol, les corps des instrumentistes... Le geste musical, atomisé, se révèle à la source du mouvement et du son ; la vidéo, démultipliée, ici et là, est en interaction permanente avec le jeu des musiciennes, les choix d’amplification sonore et la création lumière.

Il s’agit aussi de retrouver l’œil tel que le concevait André Breton, « à l’état sauvage », vers une vision élémentaire et multisensorielle du spectateur.
 


AU PLUS PRÈS de l’instant musical


VERTIGE MUSICAL

Kurtág, par la densité de ses formes courtes, explore l’éternité d’une fraction de seconde. Les pages de Bach prennent le temps de vivre les métamorphoses. Le va-et-vient d’un compositeur à l’autre, défie les époques, décentre notre écoute, brouille nos repères.

APPARITION/DISPARITION

Deux musiciennes : une pianiste et une violoniste habitent la scène, leur instrument sonnant dans l’ombre ou saisi soudain par la lumière, ici puis ailleurs, elles apparaissent ou disparaissent, intensément présentes, fugaces et insaisissables.

L’INTIMITÉ DU GESTE

À certains moments choisis, la vidéo double le geste qui anticipe le son, le souligne, l’étire, le théâtralise au plus près du corps des musiciennes et de leur instrument. Voir l’invisible, l’infiniment petit, le ténu, l’intimité d’un souffle au seuil de la musique dans l’espace clos de la scène, organique et vibrant.

Les séquences vidéo (produites et pensées lors des résidences), sources d’éclairage autant que d’images, seront projetées en synchronicité ou en rupture avec les gestes des musiciennes et les sons produits par les instruments, selon une scénographie prédéterminée sur le vif des répétitions. L’image n’est plus uniquement destinée à la vue mais sollicite le système nerveux dans son intégralité, à la source de l’émotion.

LA RENCONTRE ET L’ÉCLOSION

Seules dans la pratique de leur instrument, chacune des deux musiciennes à la rencontre de l’autre, réinterroge l’idée même de duo, de ses résonances et dissonances. De l’attirance et de la distance, de l’éloignement et de l’élan commun, de l’absence à l’autre et des retrouvailles au cœur de la création de l’instant musical.

 
2 photos ci-dessus © Céline Rallet



AU PLUS PRÈS du son
Notes musicales de Céline Bodson
 

A SMALL PART OF INFINITY

« Hearing Flowers We Are … is like opening a trapdoor in your floor and dropping for a moment into the infinity of the cosmos. » - Tom Service, The Guardian 

Temps court temps long. György Kurtág (1926, Lugoj) fait l’expérience de la forme courte dès 1959. Par la densité et la justesse de son écriture, l’infiniment petit devient infiniment grand, une fraction de seconde, une éternité.

Apparition-disparition. Ses pièces condensent en quelques mesures seulement les extrémités musicales pures, passant de la complexité à la simplicité, de la violence à l’apaisement dans un même trait court et jaillissant.

Réalité augmentée. Méticuleusement et obsessionnellement, il écrit des pièces intenses. Qui postulent des gestes augmentés, maximisés, presque théâtralisés. Il demande des impacts de notes très précis. Le geste qui précède compte. Comme s’il était premier, pareil à l’innocence de l’enfant qui découvre un instrument. Le corps importe. D’autant que les partitions de Kurtág sont elles-mêmes des gestes.
György Kurtág a composé un énorme catalogue de pièces qui résonnent avec la musique du passé. Parmi les compositeurs qu’il aime le plus, Jean Sébastien Bach tient une place particulière. Tous les deux font appel à l’éternité, à l’infini mais de manière très contrastée, dans des formes brèves chez Kurtág, déployées chez Bach. Avec eux, on est au plus près du cœur de la musique, de sa réalité atomique. Les formes parfaites de leurs pièces en deviennent intemporelles.

Le choix d’un répertoire. Kurtág et Bach ont magnifiquement écrit pour violon et piano solo. Le lien était évident. Mais l’originalité de ce projet tient dans le fait de présenter deux artistes, la violoniste et la pianiste, dans la pratique isolée de leur instrument. Elles partagent la scène avec leur univers propre et cherchent l’union dans les résonances des pièces. Après un jeu de cache-cache, elles se retrouvent in extremis dans les trois Pezzi écrits par Kurtág pour les deux instruments ensemble. Dans la joie du duo.

L’envie d’écoute et de résonance. Céline Bodson et Sara Picavet ont donc assemblé 50 minutes de musiques dont l’enchaînement repose sur l’écoute et la résonance. L’appel d’une pièce à une autre. C’est un choix instinctif, qui ne s’appuie sur aucun concept : l’instinct avant l’intellect. Que ressent-on au contact du son, d’une mélodie, d’une phrase, d’une mesure, d’une note, de son attaque et de la vibration sonore qui en découle ? Comment se dessinent le geste avant la note, la musique écrite dans le corps ? A reculons, dans cette musique, on revient au corps, qui prédéfinit le geste, qui induit la note. Retrouver son instrument, retrouver son corps, retrouver la source vive de la musique. Kurtág en cherchait l’essence structurelle. Il a mené ses expériences dans le sens de la vérité musicale, œuvrant à découvrir le principe originel de la musique.

« Je redécouvre le geste avant la note, la souplesse de mon poignet, la sensation des doigts sur l’archet. Tirer un son, faire rouler la corde, les crins sur le La et la douceur de ce poids. Le violon vibre, je sens son odeur particulière, notre odeur, ce mélange de bois, de vernis et de parfum, mon parfum. Je caresse son dos du plat de ma main, je sens les veines du bois, la douceur du vernis m’envahit. » Céline Bodson

"Chaque phrasé musical est dessiné par Kurtág en arc de cercle, en pointillés, en points distincts, en ligne abrupte. Ce dessin du son, peint par la main ou le doigt me fascine. Je sens l’air et sa fraîcheur dessiner ce que l’on ne voit pas pour pouvoir mieux l’entendre. Ce sont ces sensations et mouvements, danse interne autour des notes, qui relient les points les plus extrêmes des œuvres de Kurtág et qui façonnent sa musique. L’histoire de chaque « Jatékók » m’est guidée par ce jeu de gestes, afin de pourvoir la raconter mieux. Le geste reliant les sons devient le pinceau du tableau. La lumière créée ainsi irradie chaque agrégat sonore." Sara Picavet



Fugacité des états émotionnels. L’enchaînement de pièces courtes induit une concentration des événements en un temps et un espace très serrés. Une soudaine densité des états émotionnels qui invite le spectateur au plus près. Les musiciennes tendent l’oreille, à l’affût des résonances, prêtes à rebondir sur la fin d’une note. On est aux aguets, à fleur de peau. Ici Kairos est maître du jeu, « Flowers we are », comme le dit joliment une des pièces de Kurtág.

L’attention au spectateur. « Je t’invite de très près. Viens voir de tout près toi qui étais si loin ». Simplicité, jeu (Jatékok), trucage, magie, illusion, artisanat… Quand le micro devient macro. Comme l’enfant qui joue des heures avec un caillou ou observe minutieusement un insecte. La perception du propos se veut immédiate et le concept, simple.

Le détournement de perception : « Je suis loin mais tu m’entends de près ». Les moyens électroacoustiques, l’image, la lumière s’unissent à la musique pour détourner le message ou en augmenter ses qualités.
Redéfinir le rapport au réel, détourner la perception usuelle que nous avons de l’objet musical, parce que nous rêvons de surprendre l’auditeur par un acte poétique qui rafraîchit son écoute.

En mouvement. Occuper l’espace, se déployer dans le Senghor, s’étirer d’ombres et de lumières, comme au premier matin. Ici, nous ne sommes plus dans un rapport frontal avec le public, mais nous nous déplaçons librement dans l’espace pour jouer avec les sources d’émission du message musical. Notre attention se porte sur le fugace, le furtif, l’évanescent ; l’espace est vivant, vibre avec la musique.